Un train pour la Metro-Goldwyn-Mayer (ou le non doublage d'un Lana Turner)
Très peu de gens savent que pendant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs acteurs français s’étaient exilés en Amérique du Nord pour fuir la guerre. Certain venaient à Montréal, d’autre à New York et quelques-uns sont se sont dirigé vers Hollywood pour aller y faire du doublage de films dans les grands studios de cinéma.
En 1944, la MGM délègue à
Montréal un certain Monsieur Aisuer, qui était chargé de recruter quelques
acteurs Canadiens français qui pourraient épauler les Jeannine Crispin, Denise
Vernac, Micheline Cheirel et autres acteurs qui sont installés dans la ville
des Stars depuis 1940.[1]
Déjà en décembre 1943,
Fernande Albany et Charles Deschamps, un couple d’acteurs français qui étaient
très actifs sur les scènes montréalaises et qui avaient fui la France lors de
l’occupation allemande avaient pris la direction de la Californie en compagnie
de Jacques Catelain, un contrat en poche pour le doublage des films de la
MGM.[2]
L’aventure était alléchante et
fait rêver. C’est la grande époque des radioromans et feuilletons radio du
théâtre Lux, de CKVL, de Radio-Canada et de CKAC. Plusieurs comédiens travaillent
sur des productions radio très suivies par les familles du Québec et ont des
voix parfaites pour le doublage des films américains et anglais.[3]
Donc, le représentant du
studio hollywoodien fait passer des auditions. Il recrute Huguette Oligny, une
jeune actrice qui impressionne depuis ses débuts en 1942 au Théâtre l’Arcade
par son talent et qui attire l’attention de plusieurs metteurs en scène comme
Pierre Dagenais.
Aisuer recrute également deux
autres acteurs qui avaient déjà endisqué des auditions lors de la sélection
d’Albany et Deschamps un an plus tôt.
Jacques Auger que l’on considère comme l’un des grands acteurs de cette époque travaille autant au Québec qu’en France. Sa voix de velours en fait l’un des acteurs les plus en demande dans les feuilletons radiophoniques en plus de diriger les émissions de théâtres classiques de Radio-Canada et de jouer dans les premiers films tournés au Québec.
Sita Riddez, Jacques Auger et la
jeune actrice Huguette Oligny signent un contrat en avril 1944 pour la MGM et iront
donc rejoindre leurs amis Albany et Deschamps à l’automne.
Fin octobre, Huguette Oligny
prend le train en partance de la Californie en compagnie de sa soeur. De leur
côté, Riddez et Auger la rejoindront plus tard en avion.[4]
Mais à 72 heures avant leur
départ, Jacques Auger reçoit un appel d’Hollywood. Aisuer les informe que le
contrat est annulé. Il leur explique qu’avec la fin de la guerre, DeGaule est
de retour en France après son exil en Angleterre et impose une règlementation
pour empêcher le doublage français réalisé aux États-Unis. Pierre Blanchar, Président
du Comité de libération du cinéma de France est allé lui-même à Hollywood
aviser les studios que les films doublés aux États-Unis ne pourraient être
diffusés sur les écrans français. S’ils veulent une distribution dans les
cinémas sur le territoire Français, les films devront être doublés dans les
studios français.
Résignés, Auger et Riddez retournent
à leurs occupations radiophoniques et théâtrales.
Huguette Oligny étant déjà
installée en Californie depuis quelques jours avec un contrat pour doubler
Lana Turner dans le film Slightly Dangerous, est informée de la situation.
Oligny racontera dans une entrevue donnée en 1950 que « Pendant un mois,
je ne fis strictement rien, sinon se promener, peler des pamplemousses et aller
voir des films au cinéma ». L’inaction lui pesant, elle finit par implorer
du travail à M. Aisuer et ce dernier lui confia quelques petits rôles à
doubler. « Un travail dur, ingrat, pénible » dit Huguette Oligny dont
le seul intérêt était d’être royalement payé » et lui permettant d'économiser pour revenir au Québec.
Toujours dans cette entrevue, elle dit : « L’acteur qui double n’est rien : il lui faut jouer comme la vedette qu’il double, se plier à sa fantaisie et essayer de l’imiter, faire des pauses ou de la vitesse avec elle. Quand l’acteur est anglais, et qu’il remue beaucoup les lèvres, le travail est encore plus difficile. Au contraire, quand il est américain, qu’il parle la bouche presque fermée, c’est plus aisé. Nous travaillions journée par journée : une journée de répétition, une journée de doublage. On faisait comme cela un film en deux mois.[5] »
Huguette Oligny profita quand
même de son séjour en Californie pour faire la connaissance d’Eric von Stoheim,
un réalisateur extravagant du cinéma muet, le cinéaste innovateur Fritz Lang et
Ludmilla Pitoëff qui dirigeait l’interprétation des starlettes de l’époque à la
MGM.
Elle reviendra par le train à
Montréal un peu déçu de cette aventure.
Huguette Oligny a tout de même
eu une carrière magistrale au Québec et au Canada autant au théâtre qu’à la
télévision. Elle fera occasionnellement un peu de doublage au Québec dans les années
70 et 80.
À défaut d’avoir doublé Lana Turner,
elle aura tout de même doublé l’actrice britannique Helen Hayes dans le film de
Walt Disney La Course au Trésor (Candleshoe) quelques années plus tard dans un studio de Montréal.
N'hésitez pas à laisser un commentaire
[1] Le
Soleil, 15 juillet 1945.
[2]
Soirée d’adieux à Mme Fernande Albany – Le Canada, 10 décembre 1943
[4] Radiomonde,
14 octobre 1944
[5] Photo-journal
: tout par l'image, 29 juin 1950 p.40
Jacques Auger https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Auger
Huguette Oligny https://fr.wikipedia.org/wiki/Huguette_Oligny
Commentaires
Publier un commentaire